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26 février 2007

Les accents

J’aime beaucoup les accents. J’aimerais savoir tous les imiter, mais je ne sais pas trop. Par exemple, j’adore l’accent canadien, ou alors j’adore l’accent des Indiens parlant anglais, quand ils roulent les “r”. Je fais bien l’accent du sud-ouest puissant, rocailleux, terrien, celui du commentateur des matchs de rugby (ou plutôt de rrrubi) sur France2. Et je fais bien l’accent d’un espagnol parlant français. Ma maman a une pointe d’accent espagnol, une pointe pointue. Elle ne sait pas prononcer les zzzz, elle dit « vous pouvez vous sasoir » (pour vous s’asseoir), elle ne sait jamais si elle doit tutoyer ou vouvoyer, et parfois elle se trompe entre le u et le ou. Elle prononce la plupart des v en b. Il est joli son accent à ma maman. C’est surement pour ça que j’aime les accents. L’accent de ma maman c’est son histoire, c’est sa terre qu’elle a quitté, l’Andalousie, pour un homme. Mon père lui a l’accent du sud, tout le temps, même quand il parle anglais, pas un accent franc de Marseille, un peu plus effacé, mais un accent du sud quand même. Fréro a l’accent pointu de l’est il sait dire rôse et jâune contrairement à moi. Moi, j’ai un petit accent du sud, léger, léger comme un pastis noyé d’été. Juste ce qu’il faut de musique. Je le perdrais en partant ailleurs.

Dans ma classe, j’ai un élève réunionnais, S., je l’adore, il est sympa, il bosse, il participe. Il est arrivé en Septembre. Il a un joli accent, plein de soleil, plein de vanille. Vendredi, alors que j’allais commencer la classe, j’ai fait l’appel, j’ai demandé où était S., les autres m’ont répondu chez le CPE. Puis il est entré, puis le CPE et le principal adjoint sont rentrés. Le principal a dit :

« J’ai appris qu’il se passe des choses dans cette classe, des choses qui ne me plaisent pas, alors certains, sous prétexte que leur parents ont des moyens, qu’ils ont de beaux vêtements de marque se sentent supérieurs à d’autres. Je ne tolèrerais pas le racisme, la discrimination, sous quelque forme que ce soit dans cet établissement. Il y a eu un incident hier en sport, et quand un élève est confronté, jour après jour, depuis le début de l’année à une violence verbale, on ne peut pas s’étonner qu’on arrive à une violence physique »

Le CPE a pris le relai : « je n’excuse pas la violence, votre camarade S. a réagi par de la violence physique à de la violence verbale, je n’excuse pas son geste, mais je le comprends. Mais pour qui vous prenez vous, pour juger quelqu’un sur sa couleur, sur la marque de son sac à dos, ce que certains font dans la classe, ça s’appelle du racisme. Depuis le début de l’année, un petit groupe prends plaisir à la rabaisser, à le mettre à l’écart, à se moquer de lui, S. n’embête personne, tout ce qu’il demande, c’est la paix, vous comprenez ça ? Il a du quitter sa région, son école, ses copains, tout ce qu’il demande, en arrivant ici, c’est au moins ça, la paix, et même ça il n’y a pas droit ? Et au moins, votre camarade G. qui a pris un coup, a compris, et il a eu une attitude exemplaire, en disant qu’il l’avait cherché, et qu’il était prêt à recevoir la même punition que S. » Et puis il s’est tu. Je tremblais. Je tentais de faire le lien, alors G. avait du une fois de plus se moquer de S. . G. n’est pas méchant, pas très subtil peut-être, mais pas méchant, il a du se moquer, une fois de plus, et ça a été une fois de trop pour S. qui lui a mis un taquet. Il a du cran mon réunionnais, je n’aurais pas su me défendre comme ça à son âge. J’ai pris la parole à mon tour :

« Je suis atterrée par ce que je viens d’apprendre. J’ai honte pour vous. Certains d’entre vous se croient peut-être à l’abri, et pensent qu’ils n’ont rien à voir avec tout ça parce qu’ils n’ont pas directement attaqué S. sachez qu’il n’en est rien. Cautionner, c’est aussi grave que participer au mouvement. C’est lâche. »

Le principal a continué. « Madame S. a raison, vous saviez tous dans cette classe, que votre camarade était mis à l’écart. Plus tard, dans votre vie d’adulte, dans le monde de l’entreprise, vous serez à nouveau confrontés à ce genre de comportement. Et pour être digne d’être des Hommes et des Femmes vous devrez montrer que vous n’êtes pas lâche. Au programme cette année vous étudiez l’Allemagne nazie, la collaboration, maintenant, vous ne pouvez pas dire que vous ne saviez pas, ça commence par là vous savez, par la différence que l’on n’accepte pas ».

Le CPE a demandé si quelqu’un avait quelque chose a dire, est-ce-que quelqu’un pouvait dans cette classe dire en son âme et conscience qu’il ne savait pas. Une élève a répondu « ben c’est vrai, qu’il y avait des moqueries envers S. parce qu’il a un accent… ».

Le principal a dit « un accent, vous savez, vous aussi vous avez un accent. »

L. a dit « moi j’ai pas d’acceng ! » Le principal a répondu « si tu as un accent, un accent du sud, seulement vous ne l’entendez pas, parce que vous avez tous le même. Moi quand j’avais 18 ans, je suis parti à Paris pour faire mes études, et on me disait qu’on ne me comprenait pas, parce que j’avais l’accent du sud, pensez que vous serez toujours l’étranger de quelqu’un, et là, votre camarade, même si n’excuse pas son geste, a eu le courage de se défendre, mais combien il y a en dans ce collège, qui souffrent en silence, dont on se moque, parce qu’ils sont trop gros, ou trop maigres, ou trop petits, vous voyez la violence verbale, morale, ça peut conduire à quelque chose de grave »

Je pensais à une élève du collège, qui venait de faire une tentative de suicide. J’ajoutais « Et puis même si ce qui c’est passé était grave, il peut y avoir encore plus grave, il y a des élèves qui sombrent dans la dépression, et qui vont jusqu’à commettre l’irréparable ».

Le principal a repris la parole « quand vous serez devenu des adultes, repensez y à tout ça, parce que ce genre de situation vous y serez à nouveau confrontés, et peut être qu’un jour c’est vous qui serez celui qui est différent, celui qui vient d’ailleurs » et puis, il m’a dit, allez, on te laisse travailler, à tout à l’heure.

C’était un moment très fort. Un de ces moments pour lesquels je fais ce métier là. Remplir les têtes, apprendre à penser, éduquer à la citoyenneté. Alors voilà, moi j’aime les accents, les accents de France, les accents d’ailleurs, l’accent de S. qui sent la vanille, l’accent de maman qui sent les citrons et les oranges, l’accent british de Jude Law  aux Césars (miam), l’accent andalou de ma grand-mère.

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Commentaires
C
C'est vrai que des moments pareils sont très formateurs et restent longtemps ancrés dans la mémoire s'ils sont bien expliqués. Certaines valeurs ne sont pas naturelles et il faut souvent en passer par des incidents pour faire réfléchir un bon coup les enfants, pour les faire remettre en question ce qui pour eux allait de soi. <br /> Et quelque part, il vaut mieux que ce genre d'incident se produise à leur âge plutôt qu'ensuite.
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